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L’impression 3D est l’une des nouvelles technologies de production les plus prometteuses. D’autant plus qu’elle peut s’utiliser avec une foultitude de matériaux et dans des secteurs aussi divers que l’industrie ou la construction, voire dans la santé. J’ai ainsi rencontré cette semaine les responsables de Healshape, start-up qui se lance dans la reconstruction mammaire par bio-impression 3D.

« On sait depuis plusieurs années imprimer en 3D des bio-tissus, mais il s’agissait jusque là de produits plats de faible épaisseur, typiquement de la peau. Nous avons développé au sein de Healshape des matériaux et des process d’impression qui permettent d’imprimer de vrais volumes de l’ordre du dm3, pour créer par exemple des greffons utilisables pour la reconstruction mammaire suite à une mastectomie lors d’un cancer du sein », explique Christophe Marquette, co-fondateur de Healshape.

Ce biochimiste, directeur de recherche CNRS à l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires de Lyon (ICBMS), et coordinateur de la plate-forme 3d.FAB, travaille depuis environ 8 ans au sein de son laboratoire sur l’usage de l’impression 3D dans le domaine des sciences du vivant.

« Dans un premier temps on a beaucoup travaillé sur les dispositifs implantables en silicone, thermoplastique ou céramique, ainsi que sur l’impression pour des greffes, ce qui nous a amené à rapidement déposer des brevets sur la partie bio-impression pour fabriquer des tissus vivants à l’aide d’un gel nutritif dans lequel on incorpore des cellules pour que cela fabrique du tissu. Des brevets déposés avec la société LabSkin Creations, notamment sur la formulation de cette ‘‘encre’’ imprimable qui permet de maintenir les cellules en vie et de fabriquer à peu près n’importe quel tissu à part de l’os. »

Un tissu lyonnais pour la bio-impression

LabSkin Creations, spécialiste en ingénierie tissulaire avancée de la peau et du tissu adipeux, est une start-up créée en 2014 par deux anciens chercheurs du Laboratoire des Substituts Cutanés des Hospices Civils de Lyon.

Parallèlement a été créée 3d.FAB (Fabric of Advanced Biology), une plate-forme technologique innovante (PTI) de recherche et de prestation en impression 3D pour les entreprises et les laboratoires académiques. Cette plate-forme est issue de l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (ICBMS – CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Insa Lyon/ESCPEL), du laboratoire de chimie de l’ENS (CNRS/ENS de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1), et du laboratoire Mateis (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Insa Lyon). Cette plate-forme dispose d’un laboratoire de plus de 200 m² avec une vingtaine d’imprimantes différentes. Elle développe des projets d’impression 3D principalement dans le domaine de la santé.

Les recherches menées portent à la fois sur les procédés et les matières, ainsi que sur les applicatifs dans le domaine de la santé (implantables, modèles opératoires, régénération tissulaire…). « C’est dans ce dernier contexte que nous avons fait évoluer la technique de bio-impression, que nous avions développée pour la peau avec LabSkin Creations, vers la création de tissus dit adipeux, c’est-à-dire de comblement, pour la régénération mammaire. C’est là dessus que nous travaillons avec Healshape, start-up créée en janvier 2020, qui détient une licence exclusive d’exploitation de nos brevets pour le domaine médical. »

Une impression robotisée 6 axes

Actuellement Healshape mature cette technologie pour imprimer de grandes pièces de 400 à 600 ml. C’est déjà un défi structurellement, mais en plus il faut que le tissu imprimé reste vivant et puisse être réimplanté sans danger pour la patiente.

« L’impression est de type LDM (Liquid Deposition Modeling). Elle utilise un bras robotisé 6 axes qui fait suivre une trajectoire prédéfinie à un injecteur extrudant l’hydrogel nutritif prolifératif contenant des cellules adipeuses et endothéliales provenant de la patiente qui fera l’objet de la reconstruction. Le recours au robot 6 axes est indispensable pour imprimer une structure biomimétique à celle d’un sein, qui comporte des fibres suivant différentes orientations pour soutenir la masse adipeuse. C’est l’une des difficultés de la bio-impression, qui est de reproduire les structures fibrillaires complexes des éléments que l’on souhaite remplacer. » L’impression d’un greffon de sein, qui demande 1,5 heure, est faite dans un laboratoire stérile, afin de garantir la parfaite stérilité de l’élément implantable imprimé.

Les machines d’impression actuellement utilisées par Healshape sont en fait des prototypes développés en collaboration avec le fabriquant d’imprimantes 3D spéciales sur-mesure Tobeca située à Vendôme.

« Nous sommes aussi entrain de modifier une machine en provenance de Advanced Solutions qui utilise un bras 6 axes de Epson. Elle nous a déjà servi pour faire de l’impression in vivo sur des brulures dans le cadre d’un contrat avec la DGA. Un nuage de points obtenu par un scanner 3D du corps à traiter nous permet de générer les parcours d’impression pour réimprimer de la peau directement sur les brulures de manière localisée avec une encre contenant des cellules du patient. » (Voir la vidéo)

Trouver la bonne encre et laisser croitre les cellules

Il a aussi fallut de multiples essais pour définir la rhéologie de l’encre afin d’obtenir un maintien mécanique suffisant pour garder la forme désirée. « La difficulté est de faire cela en restant avec une composition pharmaceutique implantable sur un être humain, sans risque de rejet ou d’inflammation. Après cette étape de déposition vient une étape de consolidation, qui n’altère pas les cellules vivantes. Deux technologies propriétaires que nous avons brevetées et qui nous permettent d’avoir des tissus qui sont directement implantables. »

L’encre est composée d’un hydrogel nutritif prolifératif contenant quelques cellules adipeuses et endothéliales prélevées par biopsie sur la patiente qui fera l’objet de la reconstruction. Après impression en 3D, le tissu se développe dans l’encre. Pour cela, l’élément imprimé est placé dans des conditions chimiques et physiques bien définies, afin que les cellules vivantes se multiplient et se positionnent de manière autonome dans l’espace, pour recréer une matrice extracellulaire correspondant au tissu souhaité en 3D. Peu à peu le gel nutritif disparait et est remplacé par cette matrice, tout en restant dans le volume imprimé au départ.

Suivant le type de cellules choisies et les conditions recréées, on obtiendra de la peau, du tissu adipeux, du cartilage, des vaisseaux sanguins. Cette phase de maturation demande de quelques jours à quelques semaines pour des éléments les plus complexes tel de la peau colorée avec les mélanocytes.

« Pour accélérer la maturation de nos tissus, nous utilisons des outils de bioprocédés optimisés par l’industrie pharmaceutique pour fabriquer des médicaments et des vaccins. L’objectif est de réduire la phase de maturation à deux semaines ».

La mise en place du greffon

Phase ultime du procédé, l’implantation sur la patiente est similaire à une greffe, mais sans risque de rejet puisque le tissu implantable a été obtenu à partir de ses propres cellules. La revascularisation se fait alors de manière autonome grâce aux cellules endothéliales contenues dans l’encre. Celle-ci, qui recréent une multitude de micro-canaux dans toute la structure, vont lors de l’implantation in-vivo se connecter à la circulation générale de la patiente.

La start-up poursuit ses développement dans deux directions complémentaires : la préparation d’essais in-vivo (précliniques) et la mise au point d’un procédé d’impression stérile. Un programme de maturation est en cours, soutenu par la SATT Lyon-St Etienne Pulsalys. Les premiers essais cliniques pourraient intervenir d’ici trois ans.

Un milliard d’euros avant 2030

Une technologie prometteuse qui a attiré une entrepreneuse, Sophie Brac de la Perrière, co-fondatrice de Healshape et aujourd’hui présidente de la start-up fondée en janvier 2020.

Cette HEC, qui a travaillé pendant 16 ans chez Sanofi Pasteur en business developement à l’échelle internationale, a décidé voici 1,5 an de quitter le groupe pour monter un projet entrepreneurial. Elle a alors rencontré Christophe Marquette et ses partenaires. « Ils possédaient un réel savoir-faire autour de l’impression 3D, de la biologie cellulaire et de l’ingénierie tissulaire, avec un brevet sur une bio-encre, permettant d’imprimer de grands volumes complexes. Une solution prometteuse pour répondre aux besoins des deux millions de femmes dans le monde qui sont chaque année diagnostiquées pour le cancer du sein, et dont 40 % d’entre-elles subissent une mastectomie. Mais à l’issue de cette intervention chirurgicale, seule une minorité choisit une reconstruction mammaire, par crainte de complications médicales ou de résultats esthétiques non satisfaisants », constate Sophie Brac de la Perrière.

« Il y a donc un réel besoin pour une solution qui donne confiance, qui soit rapide à mettre en œuvre et évite toutes des complications, tout en proposant un résultat durable et esthétique. D’où l’idée de créer Healshape fin janvier 2020 autour de 6 associés aux parcours très différents, mais complémentaires (expert en impression 3D ; expert en biologie cellulaire ; chirurgien en reconstruction plastique ; docteur en médecine régénérative ; pharmacienne). »

Le financement initial, en grande partie constitué de subventions de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de fonds de la SATT Lyon-St Etienne Pulsalys destinés à aider les start-up innovantes, devrait faire l’objet d’un premier tour de table de plus d’un million d’euros dès 2021. Cela sera d’autant plus nécessaire que Sophie Brac de la Perrière vise le milliard d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2030.

« Un objectif extrêmement ambitieux mais très motivant car il y a un vrai besoin physique et psychologique chez toutes ces patientes. Du fait que ce sont les cellules de la patiente qui sont utilisées, je voudrai que Healshape leur permette ‘‘d’être aux manettes’’ de leur reconstruction physique et donc psychologique, ce qui accélérerait leur retour à la vie normale. »

Un objectif qui passera certainement par une synergie avec un poids lourd de la pharmacie disposant d’un large réseau de distribution. « L’idée c’est que les start-up sont là pour ‘‘dérisquer’’ un maximum et faire avancer vite l’innovation grâce à l’agilité d’une petite structure. Ensuite, il faut donner au projet tout le potentiel qu’il a et donc s’appuyer sur une infrastructure massive pour aller au bout. »

Beau projet avec des objectifs amitieux qui montre tout le potentiel des nouvelles technologies mises au service de l’innovation. Souhaitons que la greffe prenne rapidement !

Jean-François Prevéraud

Pour en savoir plus :

https://www.pulsalys.fr/startup/healshape

http://fabric-advanced-biology.univ-lyon1.fr/

A propos de l'auteur

Jean-François Prevéraud
Jean-François Prevéraud

Ingénieur de formation (ENIM) et journaliste professionnel depuis 1981, Jean-François a participé à de nombreux journaux et lettres d’information (Bureau d’Etudes, CFAO Synthèse, SIT, Industrie & Technologies, Usine Nouvelle…) comme journaliste, rédacteur en chef adjoint ou rédacteur en chef. En retraite depuis février 2017, Jean-François veut que celle-ci soit active. C’est pour cette raison qu’il reste informé de ce qui bouge dans le PLM dans son sens le plus large (CFAO, Simulation Numérique, Impression 3D, Usine du futur, Réalité virtuelle et augmentée…).

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